La laïcité est un principe fondateur de la République française, profondément ancré dans son identité. Mais d’où vient ce concept si singulier et comment s’est-il imposé dans la société française au fil des siècles ? Plongeons ensemble dans la passionnante genèse de la laïcité à la française, de ses prémices sous l’Ancien Régime jusqu’à ses développements les plus récents. Vous découvrirez les grands événements, personnages et textes qui ont façonné ce principe devenu pilier de la République.

Aux racines de la laïcité : du Moyen-Âge à la Révolution

Si le terme « laïcité » n’apparaît qu’au 19e siècle, l’idée d’une séparation du temporel et du spirituel est bien plus ancienne. Dès le Moyen-Âge, des réflexions émergent :

Aux 11e-12e siècles, lors de la querelle des investitures, le pape cherche à affirmer son indépendance face aux pouvoirs politiques. C’est le début d’une distinction entre pouvoir spirituel et temporel.
Au 13e siècle, la redécouverte d’Aristote contribue à fonder une pensée politique basée sur la raison naturelle, première étape vers une réflexion laïque.
Aux 15e-16e siècles, le gallicanisme affirme une certaine autonomie de l’église de France face à Rome et la suprématie du pouvoir royal. Un compromis s’établit avec le Concordat de Bologne (1516).

L’édit de Nantes marque un tournant en 1598. Henri IV accorde la liberté de culte aux protestants. Pour la première fois, le roi distingue le sujet politique, qui obéit aux lois, du croyant, libre de sa foi dans la sphère privée.

Un pas décisif est franchi au 18e siècle avec les Lumières. Des penseurs comme Voltaire, Montesquieu ou Rousseau théorisent la séparation de l’Église et de l’État. Ils veulent placer la loi civile au-dessus des lois divines et reléguer la religion dans la sphère privée.

Sur le plan concret, les mesures suivantes sont adoptées :

Édit de tolérance (1787) : il organise un état-civil pour les non-catholiques
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) : elle proclame la liberté d’opinion, même religieuse (art. 10)
Constitution civile du clergé (1790) : placés sous tutelle de l’État, les prêtres deviennent fonctionnaires
Mariage civil et divorce (1792) : l’état-civil est retiré à l’Église et confié aux mairies

En 1795, la Convention vote la première séparation de l’Église et de l’État. Le budget des cultes est supprimé. Mais cette mesure radicale, en pleine Révolution, ne sera que de courte durée…

Le Concordat : un compromis napoléonien (1801-1905)

Pour mettre fin aux conflits religieux hérités de la Révolution, Napoléon Bonaparte signe un Concordat avec le pape en 1801. Ce texte rétablit les relations entre l’État français et l’Église catholique, sans pour autant en faire une religion d’État. Les principaux points :

Le catholicisme est reconnu comme « la religion de la grande majorité des Français »
Les évêques sont nommés par le gouvernement mais reçoivent l’investiture canonique du pape
L’État prend en charge le traitement des évêques et curés en échange de l’abandon des biens du clergé

La même année, des Articles organiques viennent compléter le Concordat. Imposés par Napoléon, ils limitent le pouvoir du pape et subordonnent encore davantage l’Église au pouvoir politique.

Ce régime concordataire dure tout au long du 19e siècle, à l’exception d’une parenthèse sous la Restauration (1814-1830) où le catholicisme redevient religion d’État. Il s’étend progressivement aux cultes protestant, luthérien et juif.

Les tensions se concentrent alors sur l’école. La loi Falloux (1850) place l’enseignement sous la double tutelle de l’État et de l’Église. Elle permet aux congrégations religieuses de fonder des écoles.

Les pères fondateurs de la laïcité républicaine (1880-1905)

Avec l’avènement définitif de la IIIe République dans les années 1880, la laïcisation de la société française franchit une étape décisive. Plusieurs figures politiques s’illustrent dans ce combat pour une République laïque.

Le ministre Jules Ferry joue un rôle fondamental. Il impose une série de lois sur l’école entre 1881 et 1886 :

Gratuité de l’enseignement primaire (1881)
École obligatoire et laïque (1882) : l’instruction religieuse est remplacée par l’instruction morale et civique
Laïcisation du personnel enseignant (1886) : les religieux n’ont plus le droit d’enseigner dans le public

Dans une célèbre lettre aux instituteurs (1883), Jules Ferry leur demande d’enseigner une morale universelle, indépendante des croyances. Il pose les bases d’un enseignement empreint de neutralité religieuse.

Paul Bert, également ministre de l’Instruction publique, se fait le chantre d’une « science » émancipée des « superstitions » religieuses. C’est lui qui crée les écoles normales d’instituteurs dans chaque département (1879).

Ferdinand Buisson, lui, dirige l’enseignement primaire de 1879 à 1896. Il supervise la rédaction des lois laïques et donne une définition de référence de la laïcité dans son Dictionnaire de pédagogie (1887) : une séparation nette entre enseignement public et instruction religieuse.

La laïcisation touche progressivement toute la société :

Autorisation du divorce (Naquet, 1884)
Liberté des funérailles et des cimetières (1887)
Suppression des prières publiques à l’ouverture des sessions parlementaires (1884)
Abrogation du repos dominical obligatoire (1880)

Malgré les appels à l’apaisement du pape Léon XIII, la fracture se creuse entre laïques et catholiques au début du 20e siècle. L’Affaire Dreyfus révèle un antisémitisme virulent dans les milieux catholiques conservateurs.

En réaction, le gouvernement d’Émile Combes mène une politique résolument anticléricale. La rupture des relations diplomatiques avec le Vatican (1904) ouvre la voie à une séparation de l’Église et de l’État.

1905 : la grande loi de séparation des Églises et de l’État ⛪🇫🇷

La loi du 9 décembre 1905 est le point d’orgue d’un processus de laïcisation engagé depuis plus d’un siècle. Rapportée par Aristide Briand, elle entend garantir à la fois liberté de conscience et neutralité de l’État. Ses principales dispositions :

« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 2) : les ministres des cultes ne sont plus payés par l’État
Création « d’associations cultuelles » pour gérer les biens de l’Église
Mise à disposition gratuite des édifices religieux existants
Liberté d’organisation des Églises, sans ingérence de l’État
Aumôneries autorisées dans certains lieux comme les lycées, hôpitaux, prisons…

Si la loi recueille une large adhésion chez les Juifs et les protestants, elle est fermement condamnée par le pape Pie X. Les catholiques se divisent. Certains s’opposent par la force aux inventaires de biens prévus par la loi, provoquant des heurts.

Une « guerre scolaire » éclate également entre 1907 et 1914. Des associations catholiques s’en prennent aux manuels scolaires jugés hostiles à la religion. Les instituteurs répliquent par des procès en diffamation contre certains évêques. La Première Guerre mondiale mettra un terme à ces querelles.

Malgré ces résistances, la loi de 1905 s’impose durablement comme le pilier de la laïcité française. Elle ne sera remise en cause que brièvement sous le régime de Vichy (1940-1944) avant d’être rétablie.

La laïcité, principe constitutionnel (1946-aujourd’hui)

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la laïcité acquiert une valeur constitutionnelle. Elle est inscrite dès l’article 1er de la Constitution de la IVe République (1946) :

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. »

Ce principe est repris à l’identique dans la Constitution de 1958 fondant la Ve République. Désormais, la laïcité ne relève plus seulement de la loi mais fait partie intégrante des valeurs et de l’identité républicaines.

La querelle scolaire ressurgit néanmoins dans les années 1950 avec la question des subventions à l’enseignement privé catholique. La loi Debré (1959) instaure un système de contrats entre l’État et ces établissements. Ils acceptent la laïcisation de leurs programmes et en contrepartie, l’État prend en charge leurs dépenses de fonctionnement et les salaires des professeurs.

Un siècle après la loi de 1905, la laïcité est confrontée à de nouveaux défis avec l’émergence de l’islam comme deuxième religion du pays. L’affaire du foulard à Creil (1989) relance le débat : peut-on porter des signes religieux ostensibles à l’école publique ?

Après 15 ans de polémiques, la loi du 15 mars 2004 tranche :
« Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit. »

Plus récemment, l’accent est mis sur la transmission du principe de laïcité, avec par exemple :

Charte de la laïcité à l’école (2013) : elle rappelle les règles qui permettent de vivre ensemble dans l’espace scolaire
Journée nationale de la laïcité chaque 9 décembre depuis 2015
Mise en place d’un enseignement moral et civique à l’école (2015)

La laïcité reste un sujet de débats passionnés. Un sondage de 2021 montre que si 73% des Français y sont attachés, 58% jugent son application « trop restrictive ». Preuve que ce principe fondateur suscite toujours interrogations et controverses plus d’un siècle après la loi de 1905.

Une constante demeure : la laïcité reste un des piliers de l’identité républicaine en France. Cette singularité dans le paysage mondial est le fruit d’une histoire pluriséculaire faite de conflits, de compromis, de débats acharnés. Une histoire passionnante qui continue de s’écrire sous nos yeux…

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