
La disparition programmée de la laïcité en Inde
La laïcité en Inde est attaquée depuis quelques décennies. La montée du nationalisme hindou et du parti Bharatiya Janata (BJP) en a été un facteur majeur.
L’Inde est un État laïc et sa constitution le définit comme tel. La Constitution indienne garantit la liberté d’une personne de professer, pratiquer et propager sa religion, mais il existe quelques exceptions.
Cette section explorera la position de la Constitution indienne sur la liberté religieuse et comment elle se rapporte à la situation politique actuelle en Inde.
L’idéologie hindutva
Sur le plan constitutionnel, l’Inde est une démocratie laïque qui accorde à ses habitants des droits fondamentaux, dont la liberté religieuse. Le fondement de la constitution indienne est la laïcité, qui garantit l’égalité de tous les individus, quelle que soit leur appartenance religieuse. On estime que l’État conserverait une séparation fondamentale avec toutes les confessions. Dans la sphère publique et en politique, cependant, l’identité hindoue se manifeste de manière évidente. Le cadre idéologique des décideurs contraste fortement avec les valeurs énoncées dans la constitution.
L’idéologie hindutva, qui régit le Bharatiya Janata Party (BJP) au pouvoir, promeut la suprématie hindoue et anticipe la formation d’un « État hindou » (un « Rashtra hindou »). Les adeptes des religions originaires de l’Inde sont connus sous le nom d’hindous, tandis que les chrétiens et les musulmans sont considérés comme des « étrangers. » Les non-hindous n’auront pas les mêmes privilèges que les hindous, mais seront « soumis » à ces derniers selon leurs doctrines.
L’Hindu Rashtra est donc une polarité exclusive dans laquelle la citoyenneté est basée sur la religion. La loi d’amendement sur la citoyenneté que le gouvernement BJP a fait passer en force est discriminatoire dans son principe, ce qui n’est pas inattendu compte tenu de la philosophie de l’administration actuelle.
Un réseau de violence
Les minorités en Inde étaient sujettes à la violence avant l’ascension du BJP au pouvoir en 2014. Le Gujarat a connu d’importantes émeutes religieuses en 1969, Jamshedpur en 1979, Nellie en 1983, Bhagalpur en 1989, Bombay en 1993, le Gujarat en 2002, Kandhamal en 2008 et Muzzafarnagar dans l’Uttar Pradesh en 2013. Le Centre d’étude de la société et de la laïcité surveille les conflits religieux et ethniques et, avec le parrainage de la Fondation Heinrich Boll, organise des formations sur la diversité, des discussions publiques et des séminaires pour mieux faire comprendre la complexité culturelle unique de l’Inde.
Le CSSS a produit une série d’analyses approfondies des conflits les plus importants en Inde. Au cours des dernières décennies, les émeutes religieuses n’ont pas seulement visé les musulmans mais aussi les chrétiens et les sikhs, comme à Kandhamal en 2008 et à Delhi en 1984. Toutefois, à l’époque, l’État de droit et la laïcité masquaient la réalité. Aujourd’hui, ce linceul a complètement disparu. L’administration actuelle favorise la montée de la violence et de l’impunité, que ses dirigeants ne traitent ni ne condamnent. Un cadre juridique habilement construit institutionnalise les préjugés et les inégalités et accentue les injustices sociétales existantes. La structure de cet écosystème repose sur les discours haineux, un cadre juridique et une violence à caractère religieux qui se manifeste par des émeutes et des lynchages.
Recrudescence des discours de haine à caractère religieux en Inde
Depuis l’arrivée au pouvoir du BJP en 2014 et l’élection de Narendra Modi au poste de Premier ministre, il semble y avoir une recrudescence des discours de haine à caractère religieux. Les minorités sont associées à de la « vermine », évoquant les représentations nazies des Juifs avant l’Holocauste en Allemagne. Par exemple, le ministre de l’Intérieur Amit Shah qualifie les musulmans de « terroristes ». « Les envahisseurs sont comme des termites dans le sol du Bengale », a-t-il fait remarquer. Par ce commentaire, il faisait allusion à la stigmatisation des musulmans bengalis de l’Assam, considérés comme des immigrants illégaux du Bangladesh voisin à majorité musulmane.
Les politiciens élus, en particulier les ministres qui ont juré de préserver les normes constitutionnelles, prennent pour cible les musulmans et les chrétiens en propageant des préjugés à leur sujet et en légitimant la violence à leur encontre. En Inde, 878 incidents de discours haineux et de sédition ont été recensés entre 2014 et 2022, selon l’étude « Hate Grips the Nation » publiée par le groupe non gouvernemental ANHAD. Les discours haineux représentaient 54 % de ces incidents, tandis que la sédition en représentait 46 %. L’analyse démontre que les discours de haine et la sédition en Inde visaient principalement les musulmans (73,3 %) et les chrétiens (26,7 %).
Une analyse plus approfondie réalisée par le réseau d’information NDTV a révélé que les discours de haine ont augmenté de 500 % sous l’administration Modi entre 2014 et 2018, par rapport à l’administration du Parti du Congrès de 2009 à 2014. Cette étude montre également la tendance inquiétante selon laquelle les discours de haine sont rarement enregistrés et, s’ils le sont jamais, gagnent une traction juridique. En revanche, les représentants politiques qui se livrent à des discours de haine ont plus de chances d’être promus et sont même parfois choisis comme ministres*.
Appel au génocide en Inde
La rhétorique haineuse continue de s’intensifier. Elle a imprégné la mentalité de la majorité à tel point que les organisations extrémistes et les chefs religieux se sentent autorisés à prôner publiquement l’extermination des musulmans en Inde. Lors d’une conférence, Yati Narsinghanad, un chef religieux, a exhorté les hindous à s’armer et à faire la guerre aux musulmans pour empêcher l’élection d’un musulman au poste de premier ministre en 2029.
De même, Sadhavi Annapurna, un chef religieux hindou, a appelé à la mort des musulmans dans une déclaration publique : « Tuez-les si vous voulez éradiquer leur population. Soyez prêts à tuer et à faire de la prison pour cela. Même si 100 d’entre nous acceptent de tuer deux millions [de musulmans], nous serons toujours victorieux et condamnés à la prison. »
L’article III de la Convention des Nations unies sur le génocide fait de « l’incitation directe et publique à commettre un génocide » une violation grave. Cependant, le gouvernement indien a tardé à arrêter ces chefs religieux qui sèment la discorde lorsque des habitants ont adressé une pétition à la Cour suprême pour s’opposer à ces prédicateurs de la haine. Cependant, lorsqu’ils ont été libérés sous caution, ces mêmes individus ont continué à prêcher la haine.
Incitation de la population
Au niveau municipal, le discours de haine s’est transformé en incitation contre les musulmans et les chrétiens. Dans l’État du Karnataka, dans le sud de l’Inde, par exemple, des vendeurs musulmans près de temples hindous ont été agressés et leurs chariots ont été saccagés ; on demandait que les vendeurs musulmans soient interdits de commerce près du temple.
Selon une étude de l’Union populaire pour les libertés civiles (PUCL), les agressions de pasteurs chrétiens et les perturbations des services religieux ont augmenté dans l’État du Karnataka. L’étude détaille 38 agressions contre des événements de culte chrétien au Karnataka de janvier à novembre 2021. La fréquence des lynchages, notamment de musulmans ciblés par la foule pour avoir transporté ou tué du bétail, a atteint des proportions choquantes.
La structure de la loi institutionnalise la discrimination
En politique, on observe un mouvement discernable vers la droite, qui renforce le fanatisme local et l’intolérance religieuse. Le gouvernement adopte des lois qui contrôlent et limitent la liberté de religion. Parfois, ces restrictions dictent ce qui peut être mangé, qui peut se marier avec qui, et ce qui peut être porté. Les États adoptent ces lois ironiquement au nom de la « liberté religieuse ». Ceux qui veulent changer de religion ou épouser une personne d’une autre confession doivent désormais obtenir le consentement préalable des autorités du comté.
Cette mesure vise, d’une part, à rendre plus difficile la conversion des hindous à l’islam ou au christianisme et, d’autre part, à rabaisser les musulmans et les chrétiens convertis. Elle complète les règles existantes contre le massacre des vaches, qui sont utilisées pour diaboliser les musulmans et justifier la violence à leur encontre. Les lois existantes sont également utilisées par l’État pour réprimer la dissidence et étouffer les voix critiques. Ainsi, les professeurs, les étudiants, les écrivains et les journalistes sont de plus en plus souvent accusés de sédition et soumis à des lois punitives.
Agitation religieuse et transformation des institutions de l’État
Les émeutes religieuses démontrent l’évolution radicale de l’État et de ses institutions. Les nationalistes hindous provoquent volontiers des émeutes à caractère religieux en organisant des manifestations hindoues dans les districts musulmans et en entonnant des chants désobligeants à l’encontre des femmes musulmanes.
Lorsque les musulmans réagissent à cette humiliation en lançant des pierres en guise de résistance, l’État démolit leurs maisons de manière arbitraire et sans procédure régulière. Les célébrations hindoues sont utilisées pour démontrer leur supériorité par des marches forcées et l’humiliation de la population musulmane. Dans le même temps, il existe une grande tolérance pour les petites confrontations visant les minorités religieuses, ce qui polarise la communauté sur des lignes religieuses.