Au cœur du modèle républicain français, la laïcité est bien plus qu’une simple règle, c’est une valeur essentielle qui permet à tous de vivre ensemble en harmonie malgré nos différences. Parfois mal comprise ou sujet à polémiques, il est important de revenir à l’essence même de ce principe : la liberté de conscience et l’égalité de tous les citoyens devant la loi, sans distinction de croyance.

1. Aux origines de la laïcité « à la française »

La France a un lien particulier à la laïcité qui s’est construit au fil de son histoire. C’est la loi emblématique du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État qui pose les bases de la conception française de la laïcité :

La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (art. 2), ce qui signifie la fin du Concordat napoléonien qui organisait les relations entre l’État et les cultes reconnus.
Elle « assure la liberté de conscience » et « garantit le libre exercice des cultes » (art. 1).
Deux facettes indissociables : une certaine neutralité de l’État vis-à-vis des religions mais aussi la garantie pour chacun de pouvoir croire ou ne pas croire, de changer de religion et de pratiquer son culte.

Ce choix historique fait écho aux idéaux de la Révolution française et des Lumières. Il vise à instaurer la primauté du citoyen, au-delà de ses appartenances particulières, religieuses ou autres. La laïcité, c’est donc le projet d’une société unie autour de valeurs communes, dans le respect des différences de chacun.

Depuis, ce principe n’a cessé d’être réaffirmé comme composante essentielle du pacte républicain :

En 1946 avec la Constitution de la IVe République qui affirme dans son préambule que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État ».
En 1958, l’article 1 de la Constitution de la Ve République dispose que « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. »

2. La laïcité au quotidien : des principes fondateurs pour guider l’action

Concrètement, la laïcité repose sur 3 piliers qui permettent de l’appliquer au quotidien :

La séparation des pouvoirs publics et des organisations religieuses. L’État est indépendant de toute obédience confessionnelle et n’intervient pas dans le fonctionnement des cultes. En contrepartie, les Églises n’interviennent pas dans le fonctionnement de l’État.
La neutralité religieuse de l’État et de tous les services publics. Les fonctionnaires et agents publics ne doivent pas manifester leur appartenance religieuse dans le cadre de leur fonction. Les bâtiments publics sont neutres, sans signes religieux ostentatoires. Le but est d’assurer à tous un service public impartial, respectueux de la liberté de conscience de chacun.
La liberté de conscience et de culte dans les limites de l’ordre public. Chacun est libre de croire ou de ne pas croire, de pratiquer une religion ou de n’en pratiquer aucune. Les croyances et convictions philosophiques sont une affaire privée, l’État s’engage à toutes les respecter tant qu’elles ne troublent pas l’ordre public (sécurité, salubrité, tranquillité publiques).

À travers ces principes, apparaît une approche libérale de la laïcité : il s’agit de permettre à toutes les croyances de coexister pacifiquement dans la sphère privée, tout en construisant dans l’espace public un socle de valeurs partagées qui constituent le bien commun. Un équilibre subtil entre fermeté sur les principes qui fondent le « vivre ensemble » et souplesse sur ce qui relève de l’expression des libertés individuelles.

3. Une laïcité, des laïcités ? Les adaptations nécessaires

Si la laïcité à la française semble un modèle précis, son application connaît en réalité des modulations qui reflètent la diversité des contextes.

Sur le territoire national, certaines exceptions historiques persistent :

Le régime concordataire est toujours en vigueur en Alsace-Moselle, héritage de la période où la région appartenait à l’Empire allemand lors de l’adoption de la loi de 1905. Les cultes catholique, luthérien, réformé et israélite y sont reconnus et bénéficient d’un soutien public.
En Guyane, le régime des cultes est régi par l’ordonnance royale de Charles X de 1828 : seul le culte catholique est reconnu.

Par ailleurs, dans les outre-mer, la loi de 1905 a pu faire l’objet d’adaptations locales pour tenir compte des spécificités culturelles et historiques :

À Mayotte, seule la liberté de conscience est expressément reconnue, permettant notamment des dérogations à la neutralité des bâtiments publics.
En Polynésie française, des décrets organisent localement les relations entre les Églises et l’État.

Dans les faits, la jurisprudence a aussi permis d’assouplir certaines applications du principe de laïcité afin de garantir l’effectivité de la liberté religieuse :

Le Conseil d’État reconnaît la possibilité de subventions publiques pour des bâtiments cultuels dès lors qu’il y a un intérêt public local (sécurité, sauvegarde du patrimoine…)
Il valide sous conditions des accommodements ponctuels pour motifs religieux dans le fonctionnement des services publics afin de permettre à tous d’y accéder (repas de substitution dans les cantines, créneaux réservés dans les piscines municipales…)
La Cour européenne des droits de l’homme reconnaît une large marge d’appréciation aux États pour définir les contours de la laïcité dans le respect de la Convention.

Plus qu’un cadre rigide et intangible, la laïcité est un principe vivant, adaptable à chaque époque et à chaque contexte pour rester le ciment du pacte social.

L’école, pilier de la transmission des valeurs laïques 🏫

Véritable creuset où se forge la citoyenneté, l’école publique est un lieu privilégié de mise en œuvre du principe de laïcité. C’est à l’école que se joue en grande partie la capacité de notre société à faire vivre les valeurs de liberté, d’égalité et de fraternité, à faire dialoguer les différences au service d’un projet commun.

1. L’école laïque, une exigence constitutionnelle

Déjà affirmée comme un « devoir » de l’État dans le Préambule de 1946, la référence à une école « laïque » est aussi présente à l’article L141-1 du Code de l’éducation. La laïcité scolaire repose sur deux piliers complémentaires :

d’une part, la neutralité religieuse, politique et idéologique de l’enseignement public qui doit garantir à tous les élèves un égal accès au savoir et le développement d’un esprit critique, dans le respect des programmes et indépendamment des pressions extérieures, qu’elles soient commerciales, politiques ou religieuses ;
d’autre part, la liberté de conscience des élèves, dans le respect des croyances de chacun et de la liberté des parents d’assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants.

Les enseignants et personnel éducatif sont les premiers garants de ce principe de laïcité. Agents du service public, ils sont tenus à une stricte neutralité par la loi Le Pors de 1983 et ne doivent pas manifester leurs convictions dans le cadre de leur fonction.

2. La loi de 2004, une étape décisive

Face au constat d’une recrudescence des tensions communautaires au sein des établissements scolaires dans les années 1990-2000, le Président Jacques Chirac met en place en 2003 la commission Stasi pour réfléchir à une réaffirmation du principe de laïcité. Ses travaux déboucheront sur l’adoption à une large majorité de la loi du 15 mars 2004 « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics ».

Cette loi vient compléter la logique de neutralité des locaux et personnels de l’enseignement public par une exigence nouvelle vis-à-vis des élèves. Désormais, les élèves ne peuvent porter de signes ou tenues par lesquels ils manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

Cette restriction vise à préserver les élèves de toute pression, discrimination ou prosélytisme pour leur permettre de se construire en tant que citoyens libres et éclairés. Il ne s’agit pas d’une interdiction de toute expression religieuse mais d’une discrétion attendue des élèves pour éviter d’imposer aux autres leur identité religieuse à l’école. Des aménagements restent possibles pour motifs religieux (autorisation d’absence, options de menus…) tant qu’ils ne troublent pas le bon déroulement des enseignements et des activités éducatives.

Depuis, cette loi a été globalement bien acceptée et a permis d’apaiser les tensions dans les établissements scolaires. Un nouveau pas a été franchi avec la loi du 26 juillet 2019 pour une École de la confiance qui interdit toute forme de prosélytisme aux abords des écoles par exemple par le port de signes religieux ostentatoires.

3. L’enseignement laïque du fait religieux, enjeu de société

Pour autant, la laïcité à l’école ne signifie pas l’ignorance du fait religieux. Au contraire, une approche laïque des religions est indispensable pour donner aux élèves les clés de compréhension du monde et les armer intellectuellement contre les préjugés, les instrumentalisations et les effets de mode.

Déjà présente de manière transversale dans de nombreuses disciplines (histoire, français, langues…), l’étude du fait religieux a été renforcée dans les programmes suite au rapport de Régis Debray de 2002 « L’enseignement du fait religieux dans l’école laïque ».

L’enjeu est de favoriser chez les élèves un rapport distancié et dépassionné aux phénomènes religieux historiques et contemporains. Cet enseignement doit permettre de comprendre :

L’influence des religions sur les sociétés et les cultures, en tant que systèmes symboliques qui ont façonné l’histoire, les arts et la pensée.
La pluralité des croyances et des non-croyances avec leurs spécificités, sans hiérarchisation ni jugement de valeur.
Les ressorts qui peuvent conduire à des dérives sectaires ou à l’intolérance, pour mieux s’en prémunir.

Il s’agit donc d’un apprentissage de la complexité mais aussi de l’altérité, fondamental pour apprendre à « vivre ensemble ». C’est tout le sens d’un enseignement moral et civique qui, depuis 2015, promeut les valeurs de la République, dont la laïcité, de l’école primaire au lycée.

La laïcité, condition du pluralisme et rempart contre le communautarisme ☪✡

Face à un bouleversement des équilibres culturels et religieux, le modèle français de laïcité est parfois questionné : risque-t-il de nourrir le communautarisme et les forces centrifuges par une trop grande rigidité ? Ou à l’inverse, son ouverture à la diversité ne menace-t-elle pas l’idéal républicain en favorisant le relativisme ? Regardons comment le principe de laïcité, par sa capacité à conjuguer unité et pluralité, reste la meilleure garantie d’un « vivre ensemble » harmonieux.

1. Un cadre pour l’expression apaisée de la pluralité

Loin d’être un instrument d’uniformisation, la laïcité à la française a permis historiquement de pacifier les conflits entre catholiques et protestants puis d’intégrer progressivement la diversité issue de l’immigration dans la communauté nationale.

C’est que la laïcité, dans son inspiration libérale, reconnaît pleinement la pluralité des convictions, des croyances et des non-croyances. Pour tous les cultes, elle garantit, dans les limites de l’ordre public :

La liberté de conscience et de culte de leurs fidèles (lieux de culte, aumôneries, fêtes religieuses, prescriptions alimentaires, abattage rituel…)
L’autonomie d’organisation des institutions religieuses (formation des ministres du culte, financement, hiérarchie interne…)
Des possibilités d’expression dans l’espace public (manifestations, publications, accès aux médias…)

Pour les religions minoritaires, la laïcité a été un outil d’émancipation. Elle a permis aux juifs de sortir du statut discriminatoire qui était le leur sous l’Ancien Régime. Aujourd’hui, le judaïsme est la deuxième religion en France (environ 500 000 pratiquants) et toutes ses sensibilités sont représentées (consistoire, loubavitch, libéral…).

De même, par la garantie d’égalité de traitement des cultes, la laïcité a favorisé le développement de l’islam, deuxième religion en France (entre 4 et 5 millions de musulmans). Depuis les années 1990, les pouvoirs publics accompagnent sa structuration progressive (conseil représentatif, facultés de théologie, financement des lieux de culte…).

En ce sens, la laïcité peut être considérée comme un cadre de régulation du pluralisme religieux dans une logique d’intégration républicaine. Elle vise à ce que les options spirituelles restent un choix personnel, sans s’imposer à la société tout entière. Elle assure une coexistence pacifique entre les cultes, dans le respect mutuel, sans interférence dans les affaires publiques.

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