Un enfant de l’immigration devenu porte-drapeau du Rassemblement National
À seulement 28 ans, Jordan Bardella est devenu un acteur incontournable de la vie politique française. Président du Rassemblement National (RN) depuis 2021 et tête de liste du parti pour les élections européennes de 2024, il incarne le renouveau générationnel de l’extrême droite.
Mais derrière cette ascension fulgurante se cache une histoire familiale méconnue, celle d’un petit-fils d’immigrés italiens. Jordan Bardella revendique aujourd’hui fièrement ses origines transalpines, n’hésitant pas à se présenter comme « un Français de sang mêlé, à 75% italien ».
Cette mise en avant de ses racines étrangères peut surprendre de la part d’un parti qui a fait de la lutte contre l’immigration son cheval de bataille. Mais elle s’inscrit en réalité dans une stratégie de dédiabolisation et de normalisation du RN, pour contrer les accusations de xénophobie.
Une enfance en banlieue parisienne, entre Seine-Saint-Denis et Val d’Oise
Né le 13 septembre 1995 à Drancy en Seine-Saint-Denis, Jordan Bardella a grandi dans un milieu modeste. Son père Olivier, fils d’immigrés italiens arrivés en France dans les années 1930, est né dans le 93. Sa mère Luisa, elle, a vu le jour à Turin en 1962 avant d’émigrer avec ses parents à Nichelino, ville ouvrière de la banlieue turinoise.
La famille maternelle de Jordan Bardella a donc quitté le Piémont dans les années 1960 pour s’installer en région parisienne. Ses grands-parents, Severino Bertelli-Motta et Iolanda Benedetto, se sont installés avec leurs enfants à Drancy en 1963, dans l’espoir d’une vie meilleure.
Enfant unique, Jordan Bardella a été élevé par sa mère, agente territoriale spécialisée des écoles maternelles (ATSEM). Il a passé son enfance entre la cité HLM Gabriel Péri à Drancy la semaine, et le pavillon de son père à Montmorency (Val d’Oise) le week-end, après la séparation de ses parents alors qu’il n’avait que deux ans.
Un attachement revendiqué à l’Italie, ce « pays dans les gènes »
Si Jordan Bardella met désormais en avant ses origines italiennes, cela n’a pas toujours été le cas. Pendant longtemps, c’est son ancrage dans le « 9-3 » qu’il a mis en avant, se présentant comme un enfant des quartiers populaires de banlieue.
Mais depuis son accession à la tête du RN, il multiplie les références à la péninsule. « J’ai ce pays dans les gènes, dans le sang » aime-t-il répéter. Lors de meetings, il n’hésite pas à citer Dante, « l’un des plus grands poètes italiens » ou à évoquer la « grandeur » de Rome.
Cet attachement à l’Italie, Jordan Bardella le doit beaucoup à ses grands-parents maternels chez qui il passait toutes ses vacances étant enfant, à Nichelino. « Ma grand-mère ne parlait qu’italien, mon grand-père très mal français. J’ai été biberonné à la culture italienne, à sa langue, à sa gastronomie » se souvient-il.
Le jeune président du RN conserve des liens étroits avec sa famille transalpine. Sur les réseaux sociaux, il poste régulièrement des photos de lui en Italie, comme lors de son récent voyage à Venise. Une manière d’affirmer cette part de son identité.
Un récit familial romancé au service d’une stratégie politique
En mettant en scène ses racines italiennes, Jordan Bardella cherche à démontrer que l’on peut être « venu d’ailleurs » et « devenu d’ici », pour reprendre sa formule. Il se présente comme le symbole d’une intégration réussie, à rebours des clichés sur l’extrême droite.
Ce storytelling soigneusement élaboré sert les intérêts électoraux du RN. Il permet d’adresser un message aux Français issus de l’immigration, pour casser l’image d’un parti hostile aux étrangers. C’est aussi une façon de se démarquer des identitaires radicaux, qui rejettent le modèle assimilationniste.
Mais ce récit personnel subtilement romancé prend parfois des libertés avec la réalité historique. Ainsi, lorsque Jordan Bardella affirme que ses grands-parents ont fui « la misère » et le « manque de travail », il omet de préciser qu’ils sont arrivés en France au début des Trente Glorieuses, période de plein emploi et de forte croissance.
De même, la mise en avant de ses origines étrangères ne l’empêche pas de tenir un discours très ferme sur l’immigration non-européenne et l’islam. Comme pour mieux affirmer que l’intégration était plus facile du temps de ses aïeux, avec des immigrés prêts à s’assimiler aux valeurs et à la culture française. Quitte à reconstruire le passé à l’aune du présent.
Des parents mis en lumière pour humaniser son image
Longtemps, Jordan Bardella a protégé ses proches de la lumière médiatique, refusant d’évoquer sa vie privée. Mais là encore, la donne a changé avec son nouveau statut. Ses parents, qui vivaient jusqu’ici dans l’ombre, sont désormais mis en avant pour servir son récit personnel et politique.
Son père Olivier, patron de PME, et sa mère Luisa, toujours ATSEM, ont accepté d’apparaître dans des émissions de télévision comme « Une Ambition Intime » sur M6. L’occasion de dépeindre un tableau idyllique de la famille Bardella, soudée malgré le divorce.
Son compagnonnage avec Nolwenn Olivier, petite-fille de Jean-Marie Le Pen, participe aussi de cette volonté d' »humaniser » son image. Même si le couple très discret se montre peu ensemble en public. Une manière de se préserver des rumeurs qui lui prêtent une relation intéressée pour gravir les échelons au sein du parti.
🇮🇹 Sur les traces des racines italiennes de Jordan Bardella
Nichelino, la ville ouvrière du Piémont où a grandi sa mère
Pour comprendre les origines de Jordan Bardella, direction Nichelino, 48 000 habitants. Cette commune de la banlieue sud de Turin est indissociable de l’histoire industrielle italienne de la seconde moitié du XXe siècle.
Surnommée « la ville de nulle part », elle est sortie de terre dans les années 1950 pour loger les ouvriers des usines Fiat, fleuron de l’automobile transalpine. Des barres d’immeubles sans âme, coincées entre l’autoroute et les champs. C’est là que Luisa, la mère de Jordan Bardella, a vu le jour en avril 1962.
À l’époque, Nichelino attire les populations pauvres de toute l’Italie, venues chercher du travail dans le triangle industriel Turin-Milan-Gênes. La famille maternelle de Jordan Bardella, les Bertelli-Motta, fait partie de ces immigrés de l’intérieur qui ont quitté leur campagne natale pour rejoindre le Piémont.
L’épopée française des grands-parents Bertelli-Motta
Le grand-père maternel de Jordan Bardella, Severino Bertelli-Motta, est né à Nichelino en décembre 1934. Ouvrier dans l’industrie, il épouse Iolanda Benedetto, elle aussi originaire de la région. Le couple a quatre enfants, dont Luisa en 1962.
Mais au début des années 1960, les Bertelli-Motta décident de franchir les Alpes pour tenter leur chance en France. Direction Drancy en région parisienne, où la famille s’installe en 1963. Luisa, la mère de Jordan Bardella, n’a alors qu’un an.
Comme de nombreux immigrés italiens de l’époque, les grands-parents Bertelli-Motta espèrent trouver en France un travail stable et un meilleur avenir pour leurs enfants. Une épopée familiale qui n’est pas sans rappeler celle de nombreux Piémontais venus travailler dans les usines d’Île-de-France.
Le récit d’une intégration « à la française »
Aujourd’hui, Jordan Bardella aime à raconter cette histoire familiale, en l’inscrivant dans le roman national. Ses grands-parents italiens seraient l’archétype d’une immigration réussie, fondue dans le creuset républicain.
« Mes grands-parents ont fait l’effort de s’intégrer. Ils ont appris le français, respecté les lois et les coutumes de leur pays d’accueil. Ils voulaient devenir français » se plaît-il à répéter. Un récit aux accents quelque peu nostalgiques, célébrant le modèle assimilationniste « à la française ».
Mais cette success-story familiale, Jordan Bardella l’utilise surtout pour mieux critiquer l’immigration actuelle. « À l’époque, on venait en France pour travailler, pas pour profiter des aides sociales » argue-t-il. Sous-entendant que les immigrés extra-européens d’aujourd’hui ne chercheraient pas à s’intégrer, contrairement à ses aïeux.
Un storytelling orienté, qui tend à magnifier le parcours de ses grands-parents pour servir son propos politique. Quitte à enjoliver une réalité souvent plus complexe, faite de difficultés et de discriminations pour ces immigrés italiens confrontés à la xénophobie des « Ritals ».
Une jeunesse entre deux cultures
Enfant, Jordan Bardella a été bercé par cette double culture franco-italienne. À la maison, sa mère Luisa lui parlait dans la langue de Dante. Tous les étés, direction Nichelino chez ses grands-parents paternels pour des vacances ensoleillées au parfum de dolce vita.
« La culture italienne a imprégné toute mon enfance. La cuisine de ma grand-mère, les discussions animées en italien, les matchs de foot de la Squadra Azzura… » aime-t-il raconter. Il garde de cette époque des souvenirs émerveillés, ceux d’un bambino à qui l’on transmet l’amour du bel paese.
Cet attachement à la péninsule, Jordan Bardella l’a conservé intact. S’il ne parle plus italien, faute de pratique régulière, il met un point d’honneur à revendiquer cet héritage. « Je me sens profondément français mais je n’oublie pas mes origines » martèle-t-il.
Une identité hybride franco-italienne qu’il arbore comme un étendard, une fierté. Et une arme politique pour incarner ce que pourrait être une « bonne » immigration, choisie et assimilée. Reste à savoir si ce storytelling identitaire suffira à convaincre un électorat populaire parfois tenté par un discours anti-immigrés plus radical.
🇫🇷 Le « Roman national » version Jordan Bardella
Un récit mémoriel sélectif
En maniant avec habileté son histoire personnelle, Jordan Bardella cherche à réécrire le « roman national » à sa sauce. Un récit mémoriel sélectif, qui fait l’impasse sur certaines pages sombres de notre passé.
Quand il célèbre l’intégration « exemplaire » de ses grands-parents italiens, il passe sous silence le rejet dont ont longtemps été victimes ces immigrés catholiques dans la France laïque. Quand il critique la prétendue « balkanisation » de l’Hexagone, il oublie que les Italiens ont eux aussi été accusés de « communautarisme » en leur temps.
Cette relecture orientée de l’histoire fait écho à la vision du « grand remplacement » portée par l’extrême droite. Selon cette théorie complotiste, les populations européennes seraient progressivement « remplacées » par des immigrés extra-européens, menaçant l’identité et la culture du Vieux Continent.
Un discours anxiogène, que Jordan Bardella reprend à son compte de manière plus ou moins explicite. « Il faut stopper l’immigration de masse et la submersion migratoire » affirme-t-il, agitant le spectre d’une « guerre de civilisation ». Tout en se gardant d’employer le terme de « grand remplacement », jugé trop sulfureux.
Le fantasme de l’assimilation
Pour Jordan Bardella, la solution face à ce supposé péril migratoire est simple : revenir au modèle assimilationniste qui a fait ses preuves par le passé. Celui-là même qu’auraient suivi ses grands-parents italiens, en abandonnant leurs particularismes pour devenir de « bons Français ».
Un modèle qu’il oppose à l’actuel « multiculturalisme », accusé de tous les maux. « On ne vient pas en France pour recréer son pays d’origine mais pour devenir français » assène-t-il. Appelant à une immigration choisie, limitée aux Européens partageant nos « racines chrétiennes ».
Mais cette vision idéalisée de l’assimilation « à la française » relève largement du fantasme. Elle nie la persistance des identités régionales et culturelles, malgré des siècles de centralisation. Elle fait fi de la diversité des parcours migratoires, irréductibles à un modèle unique.
Surtout, elle passe à la trappe les inégalités sociales et les discriminations qui frappent les descendants d’immigrés, quelle que soit leur origine. Comme si le « creuset républicain » suffisait à gommer toutes les différences et les difficultés d’intégration.
Les non-dits de son récit familial
Le roman familial de Jordan Bardella comporte aussi son lot de zones d’ombre et de non-dits. À commencer par sa grand-mère paternelle, Réjane Mada, descendante d’un tirailleur algérien dont le président du RN ne parle jamais.
Selon plusieurs médias, cette Parisienne serait la fille de Mohand Seghir Mada, un Algérien de Kabylie venu travailler comme manœuvre en France dans les années 1930. Une origine maghrébine qui s’accorde mal avec le logiciel identitaire du RN.